Depuis janvier de cette année, je réfléchis à une offre de formation aux nouveaux métiers liés à la conception et la gestion des espaces collaboratifs. Dans les fab labs, les espaces de coworking, les maker spaces, les hacker spaces, les media labs, les labs… de nouveaux métiers apparaissent. De nouvelles compétences également. Un individu ou un petit collectif d’individus doivent : savoir concevoir et faire évoluer les espaces, organiser des évènements, être des médiateurs, être des techniciens IT, faire la maintenance de certaines machines, gérer des formations, organiser des réseaux sociaux entre les membres et entre les anciens de l’espace, communiquer et gérer les visites, administrer et gérer les finances du lieu, etc.
Sur ces sujets, les échanges avec les acteurs académiques, les gestionnaires d’espaces collaboratifs, les collectifs et les acteurs publics ont souvent été étonnants, voire décevants. « Petit marché pas encore assez mature », « acteurs pas assez solvables », « déjà beaucoup de formations ou de certificats », « des acteurs de l’écosystème qui peuvent prendre en charge eux-mêmes le développement de ces compétences »… Bref, beaucoup d’incitations à aller voir ailleurs. Le sujet est-il bien pris au sérieux ? S’agit-il seulement d’un « marché » (nouveau) pour les formateurs ?
Comme le montre l’étude récente de Makery sur les fabmanagers, le bénévolat est effectivement encore fréquent dans les fab labs (la moitié des répondants). Oui, depuis deux ans, les cycles courts d’universités et d’écoles se multiplient. Les formations assurées par des tiers-lieux, des collectifs de tiers-lieux et quelques acteurs publics (les régions) également. L’université de Cergy Pontoise propose déjà trois formations diplômantes aux gestionnaires de tiers-lieux. Carrefour Numérique propose également une formation ciblée aux gestionnaires d’EPN. L’Etat n’est pas en reste, avec un effort de standardisation du vocabulaire et des incitations. Le rôle d’assistant technique du fabmanager, le « forgeur numérique » a ainsi été institutionnalisé dans le cadre du dispositif « 2000 Emplois d’Avenir en Espaces Publics Numériques ». De véritables incitations financières ont été mises en œuvre (avec une aide de l’Etat d’environ 1080 euros sur un SMIC).
Au fil des mois, au fur et à mesure des terrains de recherche et des rencontres liées à RGCS, je mesure que les espaces collaboratifs peuvent être bien plus qu’un outil de formation, une opportunité de plus pour favoriser l’entrepreneuriat ou développer certains types d’innovation en France. Ils peuvent avoir une place centrale dans les politiques publiques.
J’ai grandi à proximité de grandes villes de la Région Rhône Alpes que j’ai vu progressivement se désindustrialiser. Lyon, Saint-Etienne, Roanne… Le fils d’entrepreneur que je suis a vu tout un tissu de PME disparaître. Des petits ateliers, un bruit mécanique dans et autour de la ville, des individus en bleu de travail, de vrais cantines de quartiers, ont progressivement cédé la place au monde urbain que nous connaissons. Mais depuis quelques années, je vois un curieux retour en arrière qui est aussi un grand bond en avant. Sur le plateau de la Croix-Rousse ou dans des villes de l’est de Lyonnais de nouveaux ateliers, plus collectifs, plus ergonomiques, plus intégrés également avec notre monde tertiaire, se multiplient. Dans tout l’est de Paris, la tendance est largement la même (dans le 18ème, le 19ème, le 20ème et sur des villes comme Montreuil) : le « faire » retrouve une vraie place.
Les fab labs ou les maker spaces sont une vraie opportunité industrielle pour toute une nouvelle génération qui a soif d’autoproduire, d’expérimenter, hacker, concevoir, bricoler, et in fine, innover.
De la même façon, j’ai vu depuis vingt ans de grands immeubles de location de bureaux se vider. Des incubateurs et centres d’affaires susciter moins d’enthousiasme (pas très loin de la place Bellecour…). Pourtant, depuis quelques années, l’entrepreneuriat connait un regain d’intérêt, en lien à la fois avec la crise qui marque une forme de fin du salariat, et de nouvelles incitations publiques (notamment celles liées aux « étudiants-entrepreneurs »). Les espaces de coworking sont de plus en plus une réponse concrète à ce nouvel élan entrepreneurial. Avec une posture de plus en plus communautaire. On promet ainsi surtout des collaborations horizontales, des évènements, du réseau, plus que des acteurs qui se poseront en expert-accompagnateur pour le jeune entrepreneur (cas qui correspond plus à certains incubateurs). Tout n’est pas rose et je m’efforce de regarder le phénomène avec le plus de lucidité possible. L’étude récemment publiée par l’assureur ’ Hiscox (« ADN d’un entrepreneur ») aide à bien mettre les pieds sur terre : 37% des entrepreneurs avouent avoir créé leur entreprise parce qu’ils « ne trouvaient pas d’emploi approprié ». Dur à entendre sur un projet qui pour moi relève d’une vraie vocation et d’un élan liée à une personnalité « entreprenante ». Pour autant, la dynamique entrepreneuriale est bien là. Et au-delà des chiffres, je sens bien qualitativement en tant qu’enseignant-chercheur en gestion que l’entrepreneuriat n’est plus une simple case, mais une compétence transversale que nous devons diffuser à tous nos apprenants.
En lien avec les tendances que je viens d’évoquer, un point me frappe : toutes les politiques entrepreneuriales, industrielles, numériques, éducatives et territoriales sont relativement désarticulées. Les femmes et les hommes politiques ont pour certains bien senti, au-delà d’un possible effet de mode, le potentiel de ces nouveaux espaces collaboratifs et des pratiques qui leurs sont associés. Avec RGCS, je me demande si le temps n’est pas venu de les intégrer. A quel niveau ? Les espaces collaboratifs eux-mêmes, nouvelles maille qui pourrait être au cœur de la relance économique et d’un nouveau projet de société. Formons des gestionnaires d’espaces collaboratifs, et formons-les à former ! Les nouveaux lieux et les pratiques collaboratives (et qui en dépassent très largement les murs) pourraient être au cœur d’une triple politique : de formation (au management, aux métiers de la création, à l’ingénierie), d’innovation (bien au-delà des frontières et usages des entreprises classiques) et de socialisation.
Pourquoi parler de socialisation ? Ces lieux sont parfois porteurs de nouvelles solidarités et nouvelles socialisations. Pour des retraités, des chômeurs, des jeunes actifs qui se sentent exclus de certains segments du marché du travail, des handicapés cognitifs, physiques ou sociaux, les nouveaux espaces collaboratifs, dans toute leur diversité, peuvent être une formidable opportunités de socialisation. Avec des effets démontrés sur des quartiers, des villes, des zones urbaines ou rurales, qui retrouvent une activité, une présence, une insertion dans un maillage, un territoire. « Faire » ensemble, ou même simplement côté les uns des autres, est une opportunité formidable pour se connaître, développer des liens, rompre des isolements, « inclure » plutôt qu' »exclure ». En adéquation avec l’envie d’une génération qui pour une partie d’entre elle ne veut « plus travailler dans une tour à la Défense comme papa ».
A quand, au-delà d’initiatives désarticulées des ministères, des Régions, des villes, de certaines commue, une vraie politique nationale voire européenne sur ces sujets ?
To be continued…
FdV
Bravo pour cette analyse qu’il est très rare d’entendre dans le mouvement/secteur !
Rien que sur la politique publique de l’emploi et de l’entrepreneuriat, il y aurait des dizaines de dispositif à orienter vers les tiers-lieux. Ils ont maintenant fait la preuve de leur utilité, même si cela a été très rarement analysé sous l’angle de l’utilité sociale. Nous travaillons en IDF sur ce sujet de nouvelles politiques publiques avec le Collectif des Tiers-Lieux. Au plaisir d’en discuter avec vous…
Merci pour votre message. RGCS s’efforce de faire des propositions pour les stratégies d’organisation et les politiques publiques liées aux tiers-lieux. Nous organisons un séminaire sur Paris le 24 novembre 17h (salle B06) sur l’université Paris-Dauphine. N’hésitez pas à vous joindre à nous. Nous avons par ailleurs mis en place un working group sur Paris qui réfléchit aux politiques publiques liées aux tiers-lieux. Le groupe est coordonné par Fabrice Periac (fabrice.periac@gmail.com).
A bientôt
Les coordinateurs de RGCS Paris (collaborativespaces@gmail.com)
Pour des retraités, des chômeurs, des jeunes actifs qui se sentent exclus de certains segments du marché du travail, des handicapés cognitifs, physiques ou sociaux, les nouveaux espaces collaboratifs, dans toute leur diversité, peuvent être une formidable opportunités de socialisation
> Pour eux particulièrement ? Pour beaucoup, tout simplement, qui sont dans ce cadre et dans bien d’autres
Tout à fait d’accord Basil. Mais c’est la caractéristique première, pour les espaces collaboratifs qui sont aussi des « tiers-lieux » (tous n’en sont pas) d’être des espaces de socialisation potentiels. L’idée de ce bref billet est de souligner également le potentiel politique de certains tiers-lieux (encore sous-utilisé je pense) pour socialiser ou re-socialiser des individus qui sont coupés ou se sentent coupés du reste de la société (notamment les chômeurs et personnes en situation de précarité). Au plaisir d’en reparler lors d’un prochain évènement de RGCS Paris [réponse par François-Xavier]