Des nouvelles formes de collaboration : quelles utopies sociales ?

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« You will join a community ». La promesse est récurrente. A la distinction consommateur-producteur succèderait aujourd’hui une catégorie unique : celle des collaborateurs. Liés par une infrastructure numérique globale, des communautés imbriquées, un langage quasi-universel (l’anglais), des standards, des peurs et des fantasmes planétaires, nous voilà tous sur un même bateau. Chaque individu, et chaque objet (de plus en plus « connecté ») peut désormais être pris dans le vaste mouvement de la collaboration.

Pour la énième fois, fini les hiérarchies. Les immeubles de la cité et les organigrammes s’aplatissent toujours plus, habités par des individus incités à des collaborations plus horizontales.

Mais quelles sont les nouvelles utopies sociales qui nourrissent aujourd’hui ce « travailler ensemble » (ce qu’est étymologiquement la collaboration) ? Qu’est-ce qui fondent les valeurs collaboratives des mouvements sociaux comme ceux des makers, du coworking ou de l’entrepreneuriat social ? Les utopies du 19ème siècle ? Fourrier, Owen comme Marx semblent bien loin des discours et de la culture des communautés que nous rencontrons. Cela n’est pas une nouvelle vision de l’espace, de la propriété des moyens de production, des coûts (n’en déplaise à Rifkin) ou de la valeur qui fait fondamentalement débat aujourd’hui.

Ce sont, je pense, de nouvelles utopies sociales. En ces jours tourmentés sur Paris et en France, j’en suis plus que jamais convaincu.

Si les grandes doctrines ou utopies ont séparé les questions de l’être, l’être ensemble et de l’agir ensemble, il est temps d’aller vers des utopies qui mettent à mal ce grand partage. Aux uns l’être, son ontologie (les philosophes et les psychologues ?). Aux autres la question de l’être et du vivre ensemble (les sociologues et certains politologues ?). A d’autres encore (les économistes et les gestionnaires) la question délicate de l’agir ensemble. Il est temps de revenir (les académiques) aux sciences morales et politiques. La « firme » a toujours été un lieu de fabrication ou de reproduction de la société. La tentative récente (ratée ?) d’un retour de l’économie politique dans le débat économique a été très intéressante de ce point de vue. Il est essentiel de revenir au sens premier de certaines œuvres, indissociablement morales, politiques et économiques (et de relire Marx, Weber, Foucault et Giddens) dans cette perspective. Au-delà des redécouvertes, il est urgent d’inventer un nouveau vocabulaire, une nouvelle pensée, qui dépasse le grand triangle structurant des sciences humaines et sociales.

Les pratiques, les évolutions de la société et du management, sont peut-être en train de tracer cette voie. Ces nouveaux lieux qui sont au cœur de RGCS sont autant soucieux de la question de l’être (pas seulement par des séances de Yoga et de mindfulness), de celle de l’agir ensemble (en essayant d’inventer ou de réinventer des formes de collaboration horizontale liées autant à des espaces innovants, des évènements qu’à la transformation numérique) que celle de l’être ensemble. Sur le dernier point, beaucoup de gestionnaires et de membres d’espaces collaboratifs sont soucieux de l’insertion, de l’interaction et de la transformation avec le quartier et la cité. En revenant vers l’idée de « communautés », ces lieux soulèvent ainsi la question des nouvelles utopies sociales. Au-delà de cela, ils sont pour certains de véritables agora où sont débattus de véritables sujets de sociétés (les entreprises classiques prennent rarement une telle posture).

Comment ré-explorer certaines utopies et/ou en développer de nouvelles ? Pour sûr, cela se fera avec ou sans les universitaires, avec ou sans les intellectuels. « Avec » serait doute préférable… Les universitaires sont une autre communauté, à l’histoire longue, qui peut aider à une réflexivité heureuse. L’université devra alors être plus qu’un lieu. Plus qu’une histoire. Elle devra redevenir cette conscience de la société, ce point d’impulsion et de recul, indépendant, qu’elle a parfois su être. Ces nouvelles utopies sociales seront peut-être innovantes et légitimes si elles collent à leur nouveau contexte. Elles devront alors être elles-mêmes collaboratives, coproduites. Cette valorisation réflexive de valeurs, ce ré-enchantement, sera long. Très long. Réapprenons également la patience…

FdV

https://collaborativespacesstudy.wordpress.com/2015/11/20/des-nouvelles-formes-de-collaboration-quelles-utopies-sociales/

utopies

2 thoughts on “Des nouvelles formes de collaboration : quelles utopies sociales ?

  1. « Les sages d’autrefois cherchaient le bonheur – écrit Alain aux dernières pages des Propos sur le bonheur – non pas le bonheur du voisin , mais leur bonheur propre ». A l’instar de ces maîtres anciens, Alain ignore la dimension collective du bonheur. Celui reste l’affaire du petit nombre d’intimes qui composent la famille et la société des amis. Elle se poursuit dans le repli rassurant sur la dimension privée de la vie sociale. Le bonheur n’appartient qu’à ceux qui savent en limiter l’étendue des manifestations au périmètre de leur jardin.. « L’agriculture est donc le plus agréable des travaux, dès que l’on cultive son propre champ ». Alain.
    Ubérisation de l’économie, hausse du nombre d’auto-entrepreneurs, de prestataires de services en Free Lance, réduction drastique des CDI (80% des contrats de travail nouvellement signés sont en CDD). Il n’y a plus guère de réel « esprit de corps » dans les nouvelles formes de travail, et l’affectio societatis à la base de toute entreprise perd de sa superbe. Ce sont au contraire des individualités qui ne trouvent leur bonheur qu’au travers du sentiment de liberté lié à une absence d’engagement sur un projet de société commun. Les entrepreneurs parleront de flexibilité consécutif à des environnements économiques mouvants. Les exécutants parleront de liberté , celle d’être sont soi-même son patron, de décider avec qui et combien de temps s’associer et sur quel projet. De la poule et de l’oeuf… peu importe. .. si chacun y trouve son propre bonheur…

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